Hubert Mounier

Hubert Mounier c'est l'homme avec qui j'ai adopté un petit garçon de neuf ans un soir d'été place des Jacobins.

Hubert s'appelait encore Cleet Boris et moi j'étais serveuse au Sunset café, un bar de la rue Mercière. Avec l'Affaire Louis' Trio, il répétait toutes les semaines dans un studio non loin de là. De la fenêtre du café, je voyais passer, démarche chaloupée, coiffures et costumes d'un autre temps, Cleet Boris, Karl Niagara et Bronco Junior. Trois hommes par la fenêtre d'une comédie musicale où résonnaient les notes de Chic Planète ou Bois ton café. Je les regardais ainsi sans jamais pouvoir leur dire un mot ni leur adresser un sourire.

Et puis cet homme ivre agressa un passant dans la rue une nuit alors que je sortais du travail. Il y avait des cris, des insultes, des menaces et les sanglots d'un enfant qui disait Arrête papa, arrête… Je pris immédiatement l'enfant dans mes bras pour l'éloigner de cet homme qui agitait les siens avec violence et maladresse. Ce dernier cessa alors son agression verbale, nous regarda, le passant, l'enfant et moi, et partit en courant vers la vieille ville pour trouver d'autres bars, d'autres alcools, certainement. Abandon nocturne d'un fils qui continuait de pleurer dans mes bras, son nez calé dans mon cou. Vous allez bien ? me demanda la voix de Cleet Boris dont je n'avais pas reconnu les traits jusque là. Il était plus de minuit, nous étions Hubert Mounier et moi place des Jacobins avec un petit bonhomme dont nous ne savions rien. Le gamin finit par se calmer et après ses pleurs, il eut ses mots, son prénom, celui d'une nounou et une adresse. Trois ombres comme une famille le temps de traverser le pont, sonner à une porte, une main sur la joue, un dernier sourire et nous dire au revoir. Il s'appelait Victor. Il doit aujourd'hui avoir trente-trois ans, j'espère qu'il a su esquiver la violence de son père, j'espère qu'il est heureux. Hubert m'a payé un taxi et je suis rentrée chez moi.

Hubert Mounier c'est l'homme de cette nuit de 1992 où nous trouvâmes un enfant.

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Samantha Barendson

Jil Caplan

Jil Caplan à la fête de la moule

Un soir de juillet 1997, tandis que je travaillais comme coursier dans un journal, j’ai filé à la fête de la Moule de Wimereux avec une jeune et sémillante journaliste-stagiaire. Je ne sais plus précisément les raisons qui nous avaient poussés à faire cette escapade de près de 300 km en voiture jusque là-bas.
Je crois que nous avions appris dans la presse que Jil Caplan serait la tête d'affiche de la fête de la Moule de cette station balnéaire : ayant d'abord cru à un canular, nous avions voulu authentifier l'information.

Au milieu de la fête de la Moule qui battait son plein, Jil Caplan était bien présente, sous un chapiteau de toile, parmi les odeurs de moules-frites dont les gens se bâfraient à toutes les tables. Mon amie journaliste ne put s’empêcher tandis que nous buvions un verre, en compagnie d’un couple d’amis, de se rendre jusqu'à "la loge" de Jil Caplan pour tâcher d’obtenir une interview. Elle revint, ravie, quelques minutes plus tard. Jil Caplan avait accepté de lui répondre. Décrocherait-elle un scoop ? Des révélations sur la vie privée de la chanteuse ? Sur sa prochaine collaboration artistique ? Son nouveau projet discographique ? L’interview devait se dérouler après sa prestation.

Malgré la reprise de son ancien tube Tout ce qui nous sépare, Jil Caplan chanta dans l’indifférence quasi générale. Elle semblait visiblement agacée de se trouver ici. J’étais triste pour elle. Je trouvais qu'elle ne méritait pas cette dégringolade, ce désamour soudain. Devait-elle désormais courir le cachet, en jouant à la chanteuse de seconde zone ? Elle, que je revoyais rayonnante et pêchue, quelques années plus tôt, dans une des émissions musicales de Naguy ou lorsqu’elle avait remporté, en 1992, une Victoire de la musique dans la catégorie révélation féminine de l’année…

Jil Caplan interpréta néanmoins une quatrième chanson, face à un public clairsemé dont nous faisions partie, avec le même professionnalisme, micro au poing.
Je m'étais laissé emporter par les paroles de sa voix sensuelle et veloutée, avec ce ciel d'été lumineux et sans nuages qui brillait au-dessus de nos têtes, lorsque tout à coup sa voix, si envoûtante, s'est mise à dérailler. Interrogation, puis stupéfaction dans l'assistance... lorsque tout le monde a compris que la chanteuse avait effectué jusque là un play-back presque parfait !

Entre temps, Jil Caplan s'était retournée vers le gars de la sono, en le fusillant du regard. Car, pendant un laps de temps démesurément long, le jeune gars, planqué derrière sa console, n'avait pas du tout réagi, laissant le CD rayé répéter, en boucle, les mêmes paroles désenchantées. Il eut beau remettre en catastrophe le morceau dans la platine et Jil Caplan reprendre sa chanson au début : le mal était fait ! Le CD défectueux sauta puis re-sauta à nouveau... 

Vexée, l’artiste avait alors quitté précipitamment la scène avant de rejoindre son taxi avec chauffeur qui l'attendait derrière des barrières de sécurité, sans saluer personne, ni adresser un mot non plus à mon amie journaliste qui aperçut, comme nous, la voiture fuir en trombe de la traditionnelle fête de la Moule, sous le soleil couchant.

Le lendemain, j'avais imaginé que mon amie journaliste relaterait l'incident dans la presse régionale en titrant, par exemple : À la fête de la Moule de Wimereux, la chanteuse, Jil Caplan, pas vraiment dans son assiette.
Mais, sans doute, dans une tristesse partagée, s'était-elle refusée à tirer sur l'ambulance.

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François-Xavier Farine